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La chaîne d’approvisionnement de demain : plus courte, plus verte et plus chère

La pénurie de nombreuses pièces et matières premières n’a jamais été aussi criante. Depuis deux ans, la pandémie de coronavirus provoque des nœuds dans la chaîne logistique des organisations partout dans le monde. Deux professeurs en gestion de la chaîne d’approvisionnement de l’Université d’Anvers et de la Vlerick Business School nous expliquent la problématique. « La gestion des stocks Just in Time (JIT) est complètement dépassée. » (Dimitri Dewever) 

Selon vous, quels grands défis les organisations doivent-elles relever aujourd’hui dans la chaîne d’approvisionnement ?

Ann Vereecke (Professor Supply Chain Management à la Vlerick Business School) : « Aujourd’hui, il est plus compliqué que jamais de gérer, planifier et prévoir la chaîne d’approvisionnement. La crise du coronavirus a déclenché un effet coup de fouet : ce qui avait commencé par des variations de la demande dans le commerce de détail a évolué vers des fluctuations plus intenses et une incertitude plus grande de la demande, de l’offre et des délais en amont de la chaîne. Et cette instabilité est encore présente. De plus, elle est renforcée, entre autres, par des pénuries de matières premières et de composants, une hausse inédite des prix, la propension à stocker excessivement certains produits ou pièces et une pénurie croissante de main-d’œuvre. »

Roel Gevaers (Professor Supply Chain Management à l’Université d’Anvers et l’Antwerp Management School) : « Le principe du Just In Time ne fonctionne plus désormais. Il consiste à ne livrer des pièces ou des matières premières que lorsque les clients ou les partenaires de la chaîne en ont besoin, de sorte que pratiquement rien ne doive être stocké longtemps et que les coûts d’entreposage sont dès lors supprimés. Un seul pépin sur la chaîne suffit pour que les problèmes d’approvisionnement engendrent des retards de production ou de livraison, voire une perte de qualité car certaines entreprises se contentent aujourd’hui de pièces de qualité inférieure parce que les versions haut de gamme ne sont pas disponibles en quantité suffisante. »

Qu’est-ce qui pourrait contribuer à réduire la pénurie actuelle de pièces et de matières premières dans la chaîne d’approvisionnement ?

Roel Gevaers : « Reconstituer des stocks localement, prévoir des stocks de sécurité pour compenser les problèmes de livraison et impliquer plusieurs fournisseurs dans la chaîne d’approvisionnement là où il n’y en avait peut-être qu’un seul auparavant. En combinant idéalement tous ces éléments, les entreprises peuvent se prémunir contre les aléas de leur chaîne d’approvisionnement. »

Ann Vereecke : « À court terme, les entreprises n’ont pas d’autre choix que de chercher les pièces et les matières premières là où elles se trouvent, même si cela s’assortit de coûts plus élevés. Par ailleurs, je remarque qu’un nombre croissant de sociétés établissent des relations à long terme avec des fournisseurs directs. Et ce, pour réduire le nombre d’intermédiaires et le risque de prix exorbitants. »

Le nearshoring et le reshoring semblent avoir le vent en poupe. Les entreprises qui rapprochent leur chaîne d’approvisionnement ou qui l’envisagent sont-elles plus nombreuses qu’auparavant ?

Ann Vereecke : « Les chaînes d’approvisionnement trop longues et trop globales sont apparues très fragiles ces derniers mois. Beaucoup d’organisations ont compris qu’il était plus sûr ou plus stable de rapprocher leur production de leur marché. Mais il faut du temps pour changer la donne. Ce ne sont pas des décisions qu’une entreprise prend en quelques mois. De plus, cela ne résout pas le problème de la pénurie de certaines matières premières. Même si vous produisez ou assemblez localement, vous avez besoin de composants ou d’ingrédients importés de l’étranger. »

Roel Gevaers : « Certaines organisations envisageaient déjà le reshoring avant la pandémie. Le coronavirus et le blocage du canal de Suez pendant plusieurs jours l’année dernière à cause de l’Ever Given, un porte-conteneurs géant, ont amené pratiquement toutes les entreprises à examiner comment constituer à nouveau des stocks internes et donné un coup de fouet à la production locale. Ainsi, la chaîne de vêtements C&A possède sa propre usine en Allemagne depuis le début de l’année. L’entreprise entend ainsi étudier la possibilité de concurrencer depuis l’Europe des pays asiatiques à bas salaires. Plusieurs autres sociétés prennent actuellement des mesures similaires. »

Stocker et produire plus près de chez soi permet de raccourcir les chaînes d’approvisionnement. N’en deviennent-elles pas également plus durables ?

Ann Vereecke : « Beaucoup d’entreprises sont plus que jamais soucieuses de l’empreinte écologique de leurs activités. Elles reconnaissent que l’impact de la chaîne d’approvisionnement sur l’environnement et le climat est important et elles veulent réagir. Si le corona a eu un impact positif, c’est bien celui-là. » 

Roel Gevaers : « En effet, la pression est grande globalement en faveur d’une chaîne d’approvisionnement plus verte dans son ensemble. Les organisations sont beaucoup plus attentives à l’origine des produits et des matières premières, à la façon dont ils sont produits et au type de transport utilisé pour les acheminer. Le nearshoring et le reshoring s’inscrivent pleinement dans cette évolution. Le fait que la Chine, par exemple, lance plusieurs nouvelles centrales à charbon et à lignite rend le nearshoring d’autant plus attractif. »

Il va de soi que le nearshoring rend aussi la chaîne d’approvisionnement plus onéreuse. Devons-nous nous attendre à des produits de plus en plus chers ces prochaines années ?

Ann Vereecke : « Je ne serai pas aussi affirmative sur ce point. En améliorant leur planification, les entreprises peuvent malgré tout réduire leurs coûts. En combinant mieux certains produits ou marchandises de façon, par exemple, à pouvoir en acheminer plus dans un même chargement, en planifiant mieux le transport avec des camions chargés de manière plus optimale, ou en facilitant le passage des marchandises entre divers modes de transport : du train au bateau puis au camion. Avec l’attention accordée à de tels aspects, les chaînes d’approvisionnement ne seront pas forcément plus coûteuses. »

Roel Gevaers : « Selon moi, le retour à la constitution de stocks internes et à une production plus locale, et le verdissement du transport s’assortiront toujours d’un surcoût. L’avantage est évidemment que moins une chaîne logistique est longue et complexe, plus la probabilité que tout se déroule sans retard ou perturbation est grande. Après tout, peut-être qu’une chaîne d’approvisionnement moins chère mais plus longue, qui paralyse la production ou les ventes plusieurs fois par an, s’avère effectivement plus coûteuse à long terme. »

Comment voyez-vous l’avenir : à quoi ressembleront les chaînes d’approvisionnement de demain ?

Ann Vereecke : « Je pense que les chaînes d’approvisionnement seront plus courtes et plus transparentes au cours des prochaines années. Et la technologie peut aussi y contribuer. Les applications d’analyse des données amélioreront la compréhension et le suivi des chaînes. Dès lors, les entreprises pourront mieux optimaliser leurs processus. »

Roel Gevaers : « D’après moi, les chaînes d’approvisionnement de demain seront plus vertes, plus courtes et plus chères. Beaucoup d’entreprises (de plus en plus de PME également) s’efforcent de prévoir toujours plus de modèles et de problèmes au sein de leur chaîne à l’aide de logiciels intelligents et de l’intelligence artificielle. Cela leur permet d’anticiper alors qu’auparavant, elles devaient surtout réagir en fonction de la situation. Plus tard encore, l’impression 3D pourrait aussi apporter une solution car il sera peut-être plus facile, plus rapide et moins coûteux d’imprimer certaines pièces localement au lieu de les faire venir de l’étranger. » 


Deux phénomènes actuels expliqués

Priorité aux produits aux marges bénéficiaires plus élevées

Aujourd’hui, certaines entreprises privilégient les produits présentant la marge bénéficiaire la plus élevée et freinent les flux de marchandises dont la marge de bénéfice est plus faible. Le professeur Gevaers pointe ainsi que Volkswagen, par exemple, s’efforce de maintenir la production des véhicules les plus chers dans un segment, alors que les modèles moins onéreux se font attendre plus longtemps.

La spéculation sur les matières premières et les pièces perturbe le marché

Plusieurs spéculateurs sur les matières premières et les pièces profitent de la pénurie et cherchent à l’attiser. Ainsi, certaines entreprises achètent des stocks entiers de bois, qu’elles entreposent ensuite volontairement pendant quelques semaines ou quelques mois, avant de les revendre à un prix beaucoup plus élevé. Comme le prix de certaines matières premières est relativement instable et fluctue énormément, de tels acteurs y voient une belle opportunité de faire du profit.


Cet article est paru dans le Top Transport, qui est disponible en PDF.

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